Sercus Autrefois…

Chronique du temps qui passe

Depuis 2010, dans le cadre du P’tit Sercussois, bulletin municipale, la “Chronique du temps qui passe relate la vie du temps passé de la vie des sercussois. 

Cette année dans le n°29 : LES VACANCES A LA CAMPAGNE APRES LA GUERRE.

LES VACANCES A LA CAMPAGNE APRES LA GUERRE_n29_2019

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Sercus entre 1939 et 1945

La chronique n°22 de 2014 relatait la terrible nuit d’un bombardement qui toucha le cœur du village.

Il y a 70 ans, dans la nuit du 4 au 5 janvier 1944, les alliés bombardent des installations allemandes (rampe V1) situées dans le bois des Huit Rues, les premières bombes tombent sur Sercus aux Six Rues et aussi à l’extérieur du village… A travers ce dramatique événement, Bernard Deram se souvient et nous raconte cette époque.

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Les conséquences de la guerre 39/45 sur l’histoire de notre village

En arrivant dans la région, les allemands semaient la terreur. Ils ont traversé la plaine avec leur char, détruisant sur leur passage les récoltes, les haies des pâtures, laissant le bétail s’échapper et se mélanger, à la grande désolation des agriculteurs.

Ils lançaient des bombes incendiaires, brûlant fermes et maisons. C’est ainsi qu’a été entièrement brulée la ferme aujourd’hui exploitée par Emmanuel et Olivier Boddaert, tandis qu’aux Brumiers, les bâtiments d’Eugène Desoutter ont été partiellement détruits, tout comme ceux des fermes Rauwel, près de chez Madame Cayet, ceux de Joseph Merseman et de Louis Bécue. Des maisons n’ont pas été épargnées. Dans la rue Tayal, celle d’Elie Evrard (le beau-père de Georgette), l’a été aussi. Elie a vécu longtemps dans un baraquement en bois en attendant que son habitation soit reconstruite. Une autre a brulé dans la même rue ; elle était située dans la pâture, derrière chez René Verrièle, elle n’a pas été reconstruite. Cette maison appartenait à Germaine Gavory, la tenancière de l’estaminet : « Au cœur Joyeux ». Germaine possédait une autre maison ; elle aussi a été détruite ; elle était située entre chez Pascal Bécue et la forge. Reconstruite avec des « dommages de guerre », Cécile, sa fille, l’a occupée en exerçant le métier de coiffeuse. Cette maison fait aujourd’hui partie du lotissement de la Forge.

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L’occupation
Pendant cette période, des personnes de bonne volonté se sont groupées à l’initiative d’Anne Marie Courtois, pour confectionner chaque mois, un colis destiné aux prisonniers de la commune.
Les hommes mobilisés, il a fallu faire face à la situation. A cette époque, tous les travaux se faisaient à la main tant chez les artisans que chez les agriculteurs. En l’absence des hommes mobilisés, les anciens, les enfants, et surtout les femmes ont fait preuve d’un courage remarquable, et cela avec des moyens limités. Elles ont fait face à la situation.
Les chevaux avaient été réquisitionnés ; les fournitures, obtenus au compte-goutte ; les plants, les semences et l’engrais rationnés. Dans de telles conditions, comment produire en abondance des denrées alimentaires indispensables ? Sans compter qu’à tout moment, les agriculteurs recevaient l’ordre « de livrer au ravitaillement », du bétail, des aliments, … il fallait satisfaire, et nourrir l’occupant, entraînant la pénurie sur le marché intérieur.
Comme la quantité d’aliment disponible était réduite, ils étaient vendus en échange de tickets, délivrés chaque mois, en fonction de l’importance de la famille. Pour éviter la fraude, de nombreux contrôles étaient effectués par un service spécialisé.
A la campagne, ces privations ont été beaucoup moins ressenties qu’en ville. Chacun faisant preuve d’imagination, pour manger à sa faim. Le tabac était rationné, lui aussi. Quelques pieds étaient dissimulés dans les jardins ou les récoltes. Ils permettaient aux anciens de satisfaire leurs besoins de fumer. Autre exemple, impossible de trouver des « enveloppes », pour équiper les roues de vélo, alors on enfilait des rondelles de caoutchouc sur un fil de fer que l’on fixait sur la jante. Bien sûr, cela ne permettait pas d’amortir les aspérités du terrain, mais il fallait s’en contenter, le vélo étant un des rares moyens de se déplacer. Par ailleurs, pour faire face à la pénurie de cuir, les chaussures portaient des semelles en bois, etc.

Comme toujours dans ces situations, des petits malins sans scrupule, profitaient de la pénurie pour pratiquer un commerce parallèle, et faire des profits scandaleux, sur le compte de ceux qui n’ont d’autres choix que de s’exécuter pour obtenir ce dont ils ont absolument besoin.
Pour se loger, les allemands réquisitionnaient « les belles demeures » qu’ils ont souvent pillées. Nous avons souvent été surpris par leurs pratiques, à commencer par l’hygiène. Ils n’hésitaient pas à se laver torse nu, à l’extérieur, même durant la mauvaise saison. Ils pratiquaient beaucoup de sport, ils marchaient en rang, au pas cadencé, en faisant claquer leurs chaussures et en chantant. Il leur arrivait de réquisitionner « toujours le même terme, de la main d’œuvre », pour effectuer des travaux qu’ils jugeaient indispensables. C’est ainsi qu’ils ont fait abattre les peupliers (au Tilleul) qui entouraient les pâtures pour en faire des piquets « Rommel », qu’ils faisaient planter à des endroits stratégiques pour empêcher les avions d’atterrir. Ils ont également envoyé en Allemagne des hommes valides pour participer au travail dans les usines. On appelait ce service : le STO (Service du Travail Obligatoire). L’armement mobilisait toute leur énergie. Ils comptaient sur lui pour imposer leur vue en Europe.

Les avions abattus sur Sercus et les environs
Un avion allemand a été abattu par Pierre Closterman à la Canewelle, comme le relate le livre qu’il a écrit « le grand cirque », où il précise avoir touché un avion sur le territoire d’Hazebrouck, un petit village près de Sercus. A quand même, c’est pas peu dire ! Un avion est tombé en flamme sur un champ situé entre la rue des corbeaux et la ferme Mordacq. Un autre encore est tombé dans le Grand Loo veld, entre la chaumière de Jérôme Huyghe et le Laboureur. Enfin, un dernier avion a été abattu non loin de la voie romaine dans un champ occupé à ce jour par Jean François Deram. Par mégarde, un pilote allemand a tiré sur un avion de son camp. Les représailles ne se sont pas fait attendre. Le pilote a été exécuté et enterré aux Brumiers, près du petit bois appartenant à Claude Desbuquois. Bien que ce soit strictement interdit par l’occupant sous peine de représailles, et par les parents à cause du danger qu’il représentait, les jeunes gens suivis des plus jeunes se précipitaient sur les lieux du crash, par curiosité. Dans le cas qui nous concerne, ils ont récupéré des armes qu’ils ont utilisées sans avoir conscience du danger que cela représentait. Il s’agissait de Jacques et Jean Denaes, de Pierre Ruckebush, de Bernard Courtois, etc….

route-dhazebrouck-pres-de-la-place

Le fuselage et les ailes de cet avion ont été ramenés dans la pâture de Léon Courtois, alors Maire de Sercus. Ces débris ont servi à retenir les berges de la grande mare. Au début des années 2000, des anglais à la recherche de restes d’épaves de la guerre, les ont emportés pour les exposer dans leurs musées. Ils sont revenus, ils disposaient de matériels sophistiqués, capables de détecter des pièces métalliques enfouies très profondément. Ils ont réussi à localiser l’endroit précis où l’avion est tombé, après avoir obtenu les autorisations du propriétaire et de l’exploitant. Ils ont fait appel à une entreprise locale pour les rechercher. Après avoir creusé à plus de 3 mètres de profondeur, la grue a mis à jour les 2 moteurs du bombardier, que les anglais se sont empressés d’emporter le plus discrètement possible. Normalement, ces pratiques sont interdites.

Les bombardements
La proximité des rampes de lancement de V1 à la belle hôtesse, et celle du bois des 8 rues, explique que notre secteur ait été une cible pour les bombardiers alliés. Au hameau de la belle hôtesse, tous les habitants ont dû quitter leur maison, dans un rayon d’un kilomètre. Ils ont dû emporter leur mobilier, leur vêtement et pour les agriculteurs, leur bétail et leur matériel en plus. La majorité des maisons du quartier a été détruite dont la forge. Une construction provisoire est toujours habitée par Gilles Toussaert et sa famille. Dans la côte, la ferme Lesage a été partiellement détruite (parents d’Alain).
La plaine de Morbecque, face à la chaumière de Bertrand Carlier, a fait l’objet de bombardements importants et répétés. La ferme qui abrite le centre de réinsertion et celle de Bernard Leroy ont été toutes deux détruites. Elles ont été reconstruites. Deux autres maisons ont été détruites près de chez Lucien Demol, aux Six Rues. L’une a été reconstruite, il s’agit du pavillon où habitait Michel Rancy. La seconde, du côté de la Rue de Morbecque où on avait construit un baraquement en bois, est aujourd’hui abandonnée. Les bombes creusaient des cratères de plusieurs mètres de profondeur, et comme ils étaient nombreux, ils empêchaient de cultiver les champs. Pour y remédier, il fallait les combler, mais on ne disposait que de pelles et de crochets pour le faire. Le travail était fastidieux. Pour alléger la tâche, un matériel rudimentaire tiré par un cheval a fait l’affaire. Le travail était plus rapide et moins pénible.
Dans le bois des 8 rues, il reste encore des traces de ces trous de bombes. Ils sont le témoignage de l’intensité des bombardements alliés pour neutraliser le site de la rampe du montage et du lancement des V1.

Les bombardements qui ont touché le centre du village
Un violent bombardement a frappé le centre du village. Il a causé la mort d’un sercussois. Il s’agit d’Albert Gaymay (le père de Pierre). Il tenait l’estaminet de la maison commune. Son épouse gravement blessée elle aussi, est restée handicapée à vie. La méprise des pilotes alliés a eu de grosses conséquences pour notre village. Les obus sont tombés sur le perron et devant la maison commune, dont la façade garde encore des traces à ce jour. L’intensité du bombardement au même endroit a provoqué la destruction complète de la fabrique de corsets et de la maison voisine, aujourd’hui habitée par André Deram. Touchées dans une moindre mesure : les maisons d’Albert et Roger Copin (menuisier), celle de Maria Veraeghe (qui tenait une épicerie), tout comme celle de la famille Hernu où se trouvait le secrétariat de la mairie. (maison occupée par Pascal Becue).
Les toitures du café Français (où résidait Jacqueline Decouvelaere), de l’estaminet le Saint Eloi (devenu depuis le Saint Erasme) et enfin de ses dépendances n’ont pas été épargnées.

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Autour de la place, toutes les maisons ont plus ou moins souffert. Les plus éloignées n’ont eu que leurs vitres brisées, tandis qu’à l’église, des éclats d’obus ont endommagé la tour. Tous ses vitraux ont été soufflés, à l’exception de celui de Saint Erasme, prisonnier et libéré par un ange (Faut-il y voir un signe ?) Précisons toutefois que Saint Erasme était invoqué pour protéger les prisonniers et les libérer si possible.
Le lendemain matin, à mon réveil, j’ai mesuré l’étendu des dégâts qui étaient visibles depuis la cuisine de la ferme. De plus, Marie Veraeghe dont le frère travaillait à la ferme s’était réfugiée chez nous. Elle y restera le temps nécessaire, avant de retrouver son domicile et reprendre son activité. En plus d’Albert Gaymay, Sercus a compté d’autres victimes civiles et militaires : Jean Veraeghe disparu en Allemagne, Abel et Géry Veraeghe abattus sur le pas de leur porte au Six Rues, Emile Coudeville.

La débâcle et la fuite des allemands
La fin de la guerre approche, les soldats allemands sont désabusés, ils ont perdu leur arrogance et sont conscients que la partie est perdue. En déroute, comme des réfugiés, ils tentent de fuir par tous les moyens. Leurs chevaux tirent des voitures et des véhicules militaires en panne, ou tout simplement en panne sèche, ils tiraient aussi des chariots agricoles ou s’entassaient les choses les plus diverses.
Le convoi que je décris s’est immobilisé sur la place et s’étalait jusqu’à la Bellevue. Cet arrêt était devenu indispensable. Malade ou boiteux, les chevaux devaient être remplacés. Une partie du matériel roulant aussi. Je me rappelle avoir vu, à la ferme de mes parents, les allemands faire sortir les chevaux de l’écurie, les faire marcher pour voir s’ils étaient capables de prendre la relève. Si tel était le cas, ils les réquisitionnaient. Ils procédaient de la même manière avec le matériel. Laissant sur place les chevaux malades et le matériel hors d’usage. Les chevaux frais et dispos, le matériel en état, le cortège pouvait reprendre son chemin. Mais avant de partir, les hommes voulaient prendre des forces et se restaurer. A cette époque, la traite terminée, le lait mis en bidon était placé au bord du chemin en attendant le passage du laitier. Biensûr, il n’est pas passé ce jour-là. Je vois encore les allemands s’emparer des bidons, les porter dans la cuisine et s’installer autour de la table, après avoir demandé des bols. En traversant le jardin, ils avaient aussi cueillis des pommes. Rassasiés, avant de quitter la pièce, ils s’adressèrent poliment à ma mère en disant : Merzi Madame ! L’avantage était en train de changer de camp.

La Libération
Après la fuite des allemands, les soldats américains et canadiens sont arrivés. Ils traversaient le village à bord de leurs véhicules. Ils s’adressaient à la population, massée sur leur passage, en faisant de grands signes. On leur répondait en faisant un V avec les doigts, V comme Victoire, pour acclamer les libérateurs. Des drapeaux tricolores sont sortis de leur cachette, ils flottaient à nouveau, après cinq années de cauchemar. Les soldats sont restés quelques temps à Sercus. Ils ont installé leurs campements dans des pâtures. Le premier, derrière chez Germaine Blondel, où ils avaient trouvé des fontaines, l’autre dans la pâture Mordacq derrière la chapelle. Enfants, nous allions les voir, il faut avouer que les soldats distribuaient généreusement du chocolat et du chewing-gum, un produit que nous découvrions et apprécions. En effet, les friandises étaient rares pendant la durée du conflit. Aux plus grands, ils donnaient des cigarettes blondes (des américaines qui sentaient bons). Dans cette ambiance chaleureuse, entre les militaires et les enfants, s’était établie une vraie complicité, bien que nous ne parlions pas leur langue. Mais il était toujours possible de se faire comprendre surtout avec les soldats canadiens.
D’un naturel curieux, j’ai appris les circonstances de l’invasion par le « bouche à oreille ». Par contre, je me rappelle des bombardements et de leurs conséquences, comme si cela s’était passé hier.

Bernard Deram

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